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Bien qu’ayant été contraint de se mettre en guerre sur un malentendu – et bien qu’il ait toujours affirmé ne pas être un guerrier –, il en vint à se battre aussi bien que n’importe qui d’autre.

 

Description : 044

 

— Ce n’est pas une bonne idée, Maîtresse.

OreSeur, assis sur son arrière-train, regardait Vin déballer une grande boîte plate.

— Elend pense que c’est le seul moyen, répondit-elle en ôtant le couvercle de la boîte.

Elle y trouva la somptueuse robe bleue. Elle l’en sortit et nota sa relative légèreté. Elle se dirigea vers le paravent et entreprit de se dévêtir.

— Et l’attaque d’hier contre les murs ? demanda OreSeur.

— C’était un avertissement, dit-elle en continuant à déboutonner sa chemise. Pas une attaque sérieuse.

Cela dit, elle avait visiblement perturbé l’Assemblée. Peut-être était-ce le but. Clampin pouvait bien dire tout ce qu’il voulait sur la stratégie et la mise à l’épreuve des remparts mais, du point de vue de Vin, Straff avait principalement gagné un regain de peur et de chaos à l’intérieur de Luthadel.

Le siège ne durait que depuis quelques semaines et la ville était déjà au bord de la rupture. La nourriture coûtait atrocement cher et Elend avait été contraint d’ouvrir les réserves de la ville. Les gens étaient à cran. Certains estimaient que cette attaque avait été une victoire pour Luthadel et y voyaient le signe positif qu’on avait « repoussé » l’armée. Cependant, beaucoup étaient simplement encore plus effrayés qu’auparavant.

Mais Vin, cette fois encore, se trouvait face à une énigme. Comment réagir face à une force aussi écrasante ? En tremblant ou en s’efforçant de poursuivre le cours normal de la vie ? Straff avait testé les murs, c’était vrai – mais il avait maintenu en place la majeure partie de son armée, dans l’hypothèse où Cett profiterait de l’occasion pour tenter une attaque. Il voulait obtenir des informations et intimider la ville.

— Je ne sais toujours pas si cette réunion est une bonne idée, déclara OreSeur. L’attaque mise à part, Straff n’est pas un homme en qui avoir confiance. Kelsier m’a fait étudier tous les principaux nobles de la ville quand je me préparais à incarner lord Renoux. Straff est fourbe et dur, même pour un humain.

Vin soupira, ôta son pantalon puis enfila le jupon de la robe. Il était moins serré que d’autres, et lui laissait assez d’espace de mouvement au niveau des cuisses et des jambes. Jusqu’ici, tout va bien.

L’objection d’OreSeur était logique. L’une des premières choses qu’elle avait apprises dans la rue, c’était la difficulté de s’enfuir. Son instinct regimbait à l’idée de pénétrer dans le camp de Straff.

Elend avait toutefois pris sa décision. Et Vin comprenait qu’elle devait le soutenir. En fait, elle commençait même à approuver la manœuvre. Straff voulait intimider la ville tout entière – mais il n’était en réalité pas aussi menaçant qu’il le croyait. Pas tant qu’il devait s’inquiéter de Cett.

Vin avait assez connu l’intimidation au cours de sa vie. D’une certaine façon, l’attaque de Straff contre les murs la rendait encore plus déterminée à le manipuler à leurs propres fins. Pénétrer dans son camp paraissait insensé au premier abord, mais à mesure qu’elle y réfléchissait, elle comprenait que ce serait leur seul moyen d’atteindre Straff. Il devait les considérer comme faibles, avoir le sentiment que sa tactique d’intimidation avait fonctionné. C’était leur seul moyen de gagner.

Ce qui impliquait de faire quelque chose qu’elle n’appréciait guère. Se retrouver cernés, pénétrer dans le repaire de l’ennemi. Cependant, si Elend parvenait à sortir du camp sain et sauf, il contribuerait largement à remonter le moral de la ville. Par ailleurs, la confiance que Ham et le reste de la bande lui portaient en serait renforcée. Personne n’aurait hésité un seul instant à laisser Kelsier entrer dans un camp ennemi pour négocier ; en fait, ils se seraient même attendus à le voir revenir des négociations en ayant persuadé Straff de capituler.

Je dois simplement m’assurer qu’il revienne sain et sauf, songea-t-elle en tirant sur sa robe. Straff peut déployer toute la force qu’il veut – rien de tout ça n’aura d’importance si c’est nous qui dirigeons ses attaques.

Elle hocha la tête pour elle-même tout en lissant sa robe. Puis elle sortit de derrière le paravent et s’étudia dans le miroir. Bien que le couturier l’ait manifestement conçue selon un schéma traditionnel, elle n’avait pas une forme complètement triangulaire mais retombait un peu plus droit le long de ses cuisses. Elle était ouverte près des épaules – bien qu’elle possède des manches serrées et des poignets ouverts – et la taille souple lui laissait une grande marge de liberté pour se pencher.

Vin s’étira légèrement, sauta sur place, se tortilla. Elle s’étonna de la légèreté de la robe et de la facilité de mouvement qu’elle permettait. Bien sûr, une jupe n’était jamais une tenue idéale pour se battre – mais celle-ci serait infiniment préférable aux modèles volumineux qu’elle avait portés aux fêtes un an plus tôt.

— Alors ? demanda-t-elle en tournoyant.

OreSeur haussa un sourcil canin.

— Quoi ?

— Qu’en dites-vous ?

OreSeur pencha la tête.

— Pourquoi me posez-vous la question ?

— Parce que votre avis m’intéresse, répondit Vin.

— La robe est très jolie, Maîtresse. Cela dit, en toute franchise, j’ai toujours trouvé ces tenues un peu ridicules. Tout ce tissu et ces couleurs, ça ne paraît pas très pratique.

— Oui, je sais, répondit Vin en se servant d’une paire de barrettes de saphir pour écarter ses cheveux de son visage. Mais… j’avais oublié comme elles pouvaient être amusantes à porter.

— J’avoue que la chose m’échappe, Maîtresse.

— C’est parce que vous êtes un homme.

— Un kandra, en réalité.

— Mais vous êtes un kandra garçon.

— Qu’en savez-vous ? demanda OreSeur. Il est difficile de déterminer le sexe de mes semblables, car notre forme est fluide.

Vin le regarda en haussant un sourcil.

— Moi, je le vois bien.

Puis elle se retourna vers son coffre à bijoux. Elle n’en possédait pas beaucoup ; bien que la bande lui ait fourni un grand choix de bijoux à l’époque où elle incarnait Valette, elle en avait donné la majeure partie à Elend pour l’aider à financer divers projets. Elle avait toutefois conservé certains de ses préférés – comme si elle avait su qu’elle se remettrait un jour à porter des robes.

Je ne la porte que cette fois-ci, songea-t-elle. Ce n’est toujours pas moi.

Elle enfila un bracelet de saphir. Comme ses barrettes, il ne contenait pas de métal ; les gemmes étaient serties dans un épais bois dur qui se fixait à l’aide d’un fermoir également fait de bois. Elle porterait donc sur elle pour tout métal ses pièces et son unique boucle d’oreille. Qu’elle conservait, sur une suggestion de Kelsier, comme un morceau de métal sur lequel exercer une Poussée en cas d’urgence.

— Maîtresse, lui dit OreSeur en tirant quelque chose de sous son lit à l’aide de sa patte – une feuille de papier. C’est tombé de la boîte quand vous l’avez ouverte.

Il la saisit entre deux pattes incroyablement agiles et la lui tendit.

Vin accepta le papier. Dame Héritière, y lut-elle.

J’ai resserré le torse et le corsage afin qu’ils vous soutiennent mieux – et ouvert les jupes pour les empêcher de s’évaser – au cas où vous auriez besoin de sauter. Chacune des manches comporte une fente destinée à des flacons de métaux, et le tissu est replié de manière à cacher un poignard attaché autour de chaque avant-bras. J’espère que ces changements vous conviendront.

Feldeu, couturier.

 

Elle baissa les yeux et remarqua les poignets. Ils étaient larges et épais, et s’évasaient d’une manière qui en faisait de parfaites cachettes. Bien que les manches soient serrées au niveau des bras, les avant-bras étaient plus larges et elle voyait où il était possible de fixer des poignards.

— Il semblerait qu’il ait déjà conçu des robes pour des Fils-des-brumes, observa OreSeur.

— Sans doute, répondit Vin.

Elle se dirigea vers son miroir pour appliquer un peu de maquillage et s’aperçut que plusieurs de ses palettes s’étaient asséchées. On dirait que je n’ai pas fait ça depuis un moment…

— À quelle heure partons-nous, Maîtresse ? s’enquit OreSeur.

Vin hésita.

— En fait, OreSeur, je ne comptais pas vous emmener. J’ai toujours l’intention de cacher votre identité aux autres personnes présentes dans le palais, et je crois que ça paraîtrait assez louche que j’emmène mon chien de compagnie lors de ce déplacement-ci.

OreSeur garda un moment le silence.

— Ah, répondit-il. Bien sûr. Bonne chance, dans ce cas, Maîtresse.

Vin n’éprouva qu’une légère pincée de déception ; elle s’était attendue à le voir protester davantage. Elle chassa cette émotion. Pourquoi cherchait-elle à le prendre en défaut ? C’était lui qui avait fait remarquer, à juste titre, quels seraient les dangers de pénétrer dans le camp de l’ennemi.

OreSeur s’étendit simplement et posa la tête sur ses pattes tandis qu’il la regardait continuer à appliquer son maquillage.

 

— Mais El, dit Ham, vous devriez au moins nous laisser vous envoyer là-bas dans notre propre voiture.

Elend répondit par la négative, redressant sa veste tout en s’étudiant dans le miroir.

— Ça nécessiterait d’envoyer un cocher, Ham.

— Tout à fait, répondit Ham. Et ce serait moi.

— Un homme ne fera pas la moindre différence pour ce qui est de nous faire sortir de ce camp. Et moins j’emmène de gens, moins Vin et moi aurons à nous soucier d’autres personnes.

Ham secoua la tête.

— El, je…

Elend posa la main sur l’épaule de Ham.

— J’apprécie votre inquiétude, Ham. Mais je peux y arriver. S’il y a un seul homme au monde que je puisse manipuler, c’est mon père. Quand ce sera terminé, il aura la certitude d’avoir la ville dans sa poche.

Ham soupira.

— D’accord.

— Ah, autre chose, dit Elend d’une voix hésitante.

— Oui ?

— Est-ce que ça vous dérangerait de m’appeler « Elend » plutôt que « El » ?

Ham gloussa.

— Ça ne devrait pas être trop difficile.

Elend sourit avec gratitude. Ce n’est pas ce que voulait Tindwyl, mais c’est un début. Nous nous pencherons sur le « Majesté » plus tard.

La porte s’ouvrit et Dockson entra.

— Elend, dit-il. Ça vient d’arriver pour vous.

Il lui tendit une feuille de papier.

— De l’Assemblée ? demanda Elend.

Dockson hocha la tête.

— Ils ne sont pas franchement ravis que vous manquiez la séance de ce soir.

— Eh bien, je ne peux pas déplacer mon rendez-vous avec Straff simplement parce qu’ils veulent se réunir un jour plus tôt, répondit Elend. Dites-leur que je tâcherai de leur rendre visite à mon retour.

Dockson acquiesça puis se tourna lorsqu’un bruissement retentit derrière eux. Il s’écarta, une étrange expression sur le visage, tandis que Vin s’approchait de la porte.

Et elle portait une robe – un splendide modèle bleu plus étroit que la plupart de celles de la cour. Deux barrettes de saphir scintillaient dans ses cheveux noirs et elle semblait… différente. Plus féminine – ou plutôt, plus confiante en sa propre féminité.

Comme elle a changé depuis notre première rencontre, songea Elend, souriant. Il s’était écoulé près de deux ans. Elle était alors une jeune fille, même si elle possédait l’expérience de quelqu’un de bien plus âgé. Elle était désormais une femme – une femme très dangereuse, mais qui levait toujours vers lui des yeux légèrement hésitants et anxieux.

— Magnifique, murmura Elend.

Elle sourit.

— Vin ! s’exclama Ham en se retournant. Tu portes une robe !

Vin rougit.

— Tu t’attendais à quoi, Ham ? À ce que j’aille rencontrer le roi du Dominat Boréal en pantalon ?

— Eh bien…, répondit Ham. Oui, en fait.

Elend gloussa.

— Ce n’est pas parce que vous, Ham, vous insistez pour vous promener en tenue de tous les jours que tout le monde souhaite faire de même. Franchement, vous ne vous lassez jamais de ces gilets ?

Ham haussa les épaules.

— Ils sont confortables. Et simples.

— Et ils ne tiennent pas chaud, dit Vin en se frottant les bras. Je suis ravie d’avoir demandé un modèle avec des manches.

— Réjouissez-vous de ce climat, répondit Ham. Si le froid vous gêne, rappelez-vous qu’il paraîtra bien pire aux hommes de ces armées.

Elend hocha la tête. L’hiver avait techniquement commencé. Le temps ne refroidirait sans doute pas assez pour dépasser le stade du léger inconfort – il neigeait rarement dans le Dominat Central –, mais la froideur des nuits n’améliorerait certainement pas le moral des troupes.

— Eh bien, dit Vin, allons-y. Plus tôt ce sera terminé, mieux ça vaudra.

Elend s’avança, un sourire aux lèvres, et lui prit les mains.

— J’apprécie ce que tu fais, Vin, souffla-t-il tout bas. Et tu es réellement splendide. Si nous n’étions pas en route vers une mort quasi certaine, je serais tenté d’ordonner qu’on donne un bal ce soir rien que pour avoir l’occasion de t’afficher à mon bras.

Vin sourit.

— C’est si fascinant, la mort quasi certaine ?

— J’ai dû passer trop de temps avec la bande.

Il se pencha pour l’embrasser, mais elle poussa un petit cri et recula.

— Il m’a fallu une bonne heure pour me maquiller correctement, lâcha-t-elle. Pas de baisers !

Elend gloussa tandis que le capitaine Demoux passait la tête par la porte.

— Majesté, la voiture vient d’arriver.

Elend se tourna vers Vin. Elle hocha la tête.

— Allons-y, dit-il.

 

Assis à l’intérieur de la voiture que Straff leur avait envoyée, Elend vit un groupe à l’air grave qui les regardait s’éloigner du haut du rempart. Le soleil ne tarderait plus à se coucher.

Il nous ordonne de venir le soir ; nous devrons partir quand les brumes seront sorties, songea Elend. Une manière très astucieuse de nous rappeler quel pouvoir il exerce sur nous.

C’était ainsi que procédait son père – d’une certaine façon, la manœuvre était similaire à l’attaque contre les murs de la veille. Aux yeux de Straff, tout était question de pose. Elend avait observé son père à la cour, et l’avait vu manipuler jusqu’aux obligateurs. En obtenant le contrat qui lui attribuait la surveillance de la mine d’atium du Seigneur Maître, Straff Venture avait joué à un jeu encore plus dangereux que les autres aristocrates. Et avec une grande habileté. Il n’avait pas pu prévoir le chaos qu’allait semer Kelsier, mais comment l’aurait-il pu ?

Depuis la Chute, Straff avait pris le contrôle du royaume le plus stable et le plus puissant de l’Empire Ultime. C’était un homme prudent et rusé qui savait comment manigancer durant des années pour obtenir ce qu’il voulait. Et c’était l’homme qu’Elend devait manipuler.

— Tu as l’air inquiet, lui dit Vin.

Elle était assise face à lui dans la voiture, dans une posture très féminine et guindée. À croire que le simple fait d’enfiler une robe lui prêtait de nouvelles habitudes et manières. À moins qu’elle ne revienne aux anciennes – à une époque, elle avait été capable de jouer les nobles de manière assez convaincante pour tromper Elend.

— Tout va bien se passer, dit-elle. Straff ne te fera aucun mal – même si les choses tournent mal, il n’osera pas faire de toi un martyr.

— Oh, je ne m’inquiète pas pour ma sécurité, répondit Elend.

Vin haussa un sourcil.

— Et pourquoi ça ?

— Parce que je t’ai, toi, expliqua-t-il en souriant. Tu vaux toute une armée, Vin.

Mais cette réponse ne parut pas la consoler.

— Viens là, dit-il en s’écartant et en lui désignant le siège près de lui.

Elle se leva pour s’installer de l’autre côté de la voiture – mais s’arrêta en le mesurant du regard.

— Maquillage.

— Je serai prudent, promit Elend.

Elle hocha la tête et le laissa l’entourer d’un bras.

— Attention aux cheveux, aussi, dit-elle. Et à ton pardessus – ne le salis pas.

— Quand es-tu devenue aussi inquiète de ton apparence ? demanda-t-il.

— C’est la robe, répondit Vin en soupirant. Dès que je l’enfile, toutes les leçons de Sazed me reviennent.

— J’aime vraiment beaucoup te voir avec cette robe, dit Elend.

Vin secoua la tête.

— Qu’y a-t-il ? s’enquit Elend tandis que la voiture cahotait, le rapprochant légèrement de lui.

Encore un nouveau parfum, songea-t-il. Voilà au moins une habitude qu’elle n’a jamais perdue.

— Ce n’est pas moi, Elend, dit-elle tout bas. Cette robe, ces manières. C’est un mensonge.

Elend garda un moment le silence.

— Pas d’objections ? demanda Vin. Tous les autres considèrent que je raconte n’importe quoi.

— Je n’en sais rien, répondit franchement Elend. Quand j’enfile mes nouveaux vêtements, je me sens différent, alors je comprends ce que tu veux me dire. Si tu ne te sens pas à l’aise en robe, tu n’es pas obligée d’en porter. Je veux que tu sois heureuse, Vin.

Elle sourit en levant les yeux vers lui. Puis se pencha pour l’embrasser.

— Je croyais que tu avais dit non, protesta-t-il.

— Si ça venait de toi, répondit-elle. Je suis une Fille-des-brumes – nous sommes plus précis.

Elend sourit, bien qu’il ne se sente guère d’humeur joviale. La conversation l’empêchait toutefois de s’inquiéter.

— Parfois, je me sens mal à l’aise dans ces vêtements. Tout le monde attend tellement de moi quand je les porte. Ils attendent un roi.

— Quand je porte une robe, répondit Vin, ils attendent une dame. Et ils sont déçus quand c’est moi qu’ils trouvent à la place.

— Tous ceux qui seraient déçus de te trouver, toi, sont trop crétins pour qu’on les prenne au sérieux, répondit Elend. Je ne veux pas que tu sois comme eux, Vin. Ils ne sont pas sincères. Ils ne se soucient de rien. Je t’aime comme tu es.

— Tindwyl pense que je peux être les deux. Une femme et une Fille-des-brumes.

— Tindwyl est pleine de bon sens. Brutale, mais pleine de bon sens. Tu devrais l’écouter.

— Tu viens de me dire que tu m’aimais comme je suis.

— C’est vrai, répondit Elend. Mais je t’aimerai quelle que tu sois, Vin. Je t’aime. La question, c’est : comment est-ce que tu t’aimes, toi ?

Ces derniers mots lui donnèrent à réfléchir.

— Les habits ne changent pas vraiment quelqu’un, ajouta Elend. Mais ils changent la façon dont les autres réagissent face à lui. Ce sont les paroles de Tindwyl. Je crois… que l’astuce, c’est de te convaincre que tu mérites les réactions que tu obtiens. Tu peux porter les robes de la cour, Vin, mais te les approprier… Ne t’inquiète pas de ne pas donner aux gens ce qu’ils veulent. Donne-leur ce que tu es, et ce sera suffisant. (Il marqua une pause, souriant.) Ça l’a été pour moi.

Elle lui rendit son sourire, puis se pencha prudemment contre lui.

— D’accord, dit-elle. Assez d’insécurité pour l’instant. Reprenons. Parle-moi encore du caractère de ton père.

— C’est un parfait noble impérial. Intelligent, sans pitié, et amoureux du pouvoir. Tu te rappelles mon… expérience quand j’avais treize ans ?

Vin hocha la tête.

— Eh bien, mon père appréciait beaucoup les bordels skaa. Je crois qu’il aimait la sensation de pouvoir qu’il éprouvait en prenant une fille en sachant qu’elle serait tuée en conséquence de ses passions. Il a plusieurs dizaines de maîtresses qu’il chasse quand elles ne lui plaisent plus.

Vin marmonna une réponse tout bas.

— Il se comporte de la même manière avec ses alliés politiques. On ne s’alliait pas à la Maison Venture : on acceptait d’être dominé par elle. Si quelqu’un n’était pas disposé à devenir notre esclave, alors il n’obtenait pas de contrat avec nous.

Vin hocha la tête.

— J’ai connu des chefs de bande qui étaient comme ça.

— Et comment survivais-tu quand ils t’avaient à l’œil ?

— En jouant l’insignifiance, répondit Vin. En rampant à terre quand ils passaient, en ne leur donnant jamais de raison de me défier. Exactement comme ce que tu comptes faire ce soir.

Elend hocha la tête.

— Sois prudent, ajouta Vin. Ne laisse pas croire à Straff que tu te moques de lui.

— D’accord.

— Et ne lui promets pas trop, dit-elle. Fais semblant d’être en train d’essayer de jouer les durs. Fais-lui croire qu’il t’a forcé à l’exaucer – ça lui plaira.

— Je vois que tu as déjà l’expérience de ces choses-là.

— Beaucoup trop, répondit-elle. Mais tu m’en as déjà entendu parler.

Elend hocha la tête. Ils avaient passé et repassé en revue les préparatifs de cette réunion. À présent, il ne lui restait qu’à mettre à exécution ce que la bande lui avait appris. Faites croire à Straff que nous sommes faibles, laissez sous-entendre que nous allons lui céder la ville – mais seulement s’il nous aide d’abord contre Cett.

À travers la vitre, Elend voyait qu’ils approchaient de l’armée de Straff. Comme elle est nombreuse ! se dit-il. Où Père a-t-il appris à administrer une telle force ?

Elend avait espéré que l’absence d’expérience militaire de son père se traduirait par une armée mal gérée. Pourtant, les tentes étaient soigneusement disposées et les soldats portaient des uniformes impeccables. Vin s’approcha de sa fenêtre et regarda dehors avec des yeux avides, témoignant bien plus d’intérêt qu’une noble impériale n’aurait osé le faire.

— Regarde, dit-elle en désignant quelque chose.

— Quoi donc ? demanda Elend en se penchant.

— Un obligateur.

Elend regarda par-dessus l’épaule de Vin et aperçut l’ancien prêtre impérial – la peau tatouée autour des yeux selon un large dessin – en train de diriger une rangée de soldats à l’extérieur d’une tente.

— Alors c’est ça. Il se sert d’obligateurs pour diriger son armée.

Vin haussa les épaules.

— Logique. Ils savent comment administrer de grands groupes.

— Et comment les ravitailler, ajouta Elend. Oui, c’est une bonne idée – mais ça reste étonnant. Ça sous-entend qu’il a toujours besoin d’obligateurs – et qu’il est toujours sujet de l’autorité du Seigneur Maître. La plupart des autres rois se sont débarrassés des obligateurs le plus tôt possible.

Vin fronça les sourcils.

— Je croyais que ton père aimait le pouvoir.

— En effet, répondit Elend. Mais il aime aussi les outils dangereux. Il garde toujours un kandra et il lui est déjà arrivé de s’associer à de redoutables allomanciens. Il croit pouvoir les contrôler – et il doit sans doute croire la même chose des obligateurs.

La voiture ralentit, puis s’arrêta près d’une grande tente. Straff Venture en émergea l’instant d’après.

Le père d’Elend avait toujours été un homme imposant, à la silhouette ferme et à la posture autoritaire. Sa barbe toute nouvelle accentuait cet effet. Il portait un costume élégant et bien taillé, similaire à ceux qu’il avait voulu faire porter à Elend dans sa jeunesse. C’était alors qu’Elend avait commencé à adopter une mise débraillée – boutons ouverts, vestes trop larges. Tout ce qui pouvait le distinguer de son père était bon à prendre.

Toutefois, l’attitude de défi d’Elend n’avait jamais eu un grand impact. Il agaçait Straff, jouait des tours mineurs et faisait l’idiot quand il savait pouvoir s’en tirer sans dommages. Rien de tout ça n’avait eu la moindre importance.

Jusqu’à cette dernière nuit. Luthadel en flammes, la rébellion skaa devenue incontrôlable et menaçant de démolir la ville tout entière. Une nuit de chaos et de destruction, au cœur de laquelle Vin était prise au piège.

Puis Elend avait résisté à Straff Venture.

Je ne suis plus le garçon que tu avais l’habitude de bousculer, père. Vin lui serra le bras, et Elend descendit de la voiture lorsque le cocher ouvrit la portière. Straff attendait patiemment, une étrange expression sur le visage tandis qu’Elend levait la main pour aider Vin à descendre.

— Tu es venu, déclara Straff.

— Vous paraissez surpris, père.

Straff secoua la tête.

— Je vois que tu es toujours aussi crétin, mon garçon. Te voilà en mon pouvoir maintenant – j’aurais pu te faire tuer d’un geste de la main.

Il leva le bras comme s’il s’apprêtait à illustrer ses paroles.

C’est le moment, songea Elend, le cœur battant.

— J’ai toujours été en votre pouvoir, père, dit-il. Vous auriez pu me tuer il y a des mois, vous auriez pu vous emparer de ma ville sur un simple caprice. Je ne vois pas en quoi ma venue change quoi que ce soit.

Straff hésita.

— Nous sommes venus dîner, poursuivit Elend. J’espérais vous donner l’occasion de rencontrer Vin, et j’espérais que nous pourrions discuter de certaines… questions d’une grande importance pour vous.

Straff fronça les sourcils.

Voilà, se dit Elend. Vous vous demandez si j’ai une offre à vous faire. Vous savez que le premier qui abat ses cartes perd généralement.

Straff ne renoncerait pas à une occasion de gagner – même une chance aussi mince que celle qu’Elend lui offrait. Il avait sans doute décidé qu’Elend ne pouvait rien dire qui ait la moindre importance. Mais pouvait-il en être sûr ? Qu’avait-il à perdre ?

— Allez confirmer à mon chef que nous serons trois pour dîner, ordonna Straff à un serviteur.

Elend cessa de retenir légèrement son souffle.

— Alors c’est elle, ta Fille-des-brumes ? interrogea Straff.

Elend hocha la tête.

— Jolie petite, commenta Straff. Dis-lui d’arrêter d’apaiser mes émotions.

Vin rougit.

Straff désigna la tente. Elend fit signe à Vin d’avancer, mais elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, n’appréciant visiblement guère l’idée de tourner le dos à Straff.

Un peu tard pour ça…, songea Elend.

L’intérieur de la tente ressemblait à ce qu’Elend aurait attendu de son père ; remplie jusqu’à l’écœurement de coussins et de riches meubles, dont Straff se servait très peu en réalité. Straff l’avait meublée d’une manière qui suggérait son pouvoir. Comme les bastions massifs de Luthadel, l’environnement d’un aristocrate exprimait son importance.

Tendue, Vin attendit en silence, au cœur de la pièce, aux côtés d’Elend.

— Il est doué, chuchota-t-elle. Je me suis montrée aussi subtile que possible, et il a quand même remarqué mon influence.

Elend hocha la tête.

— Lui aussi est un Œil-d’étain, dit-il d’une voix normale. Donc, il doit être en train de nous écouter en ce moment même.

Elend se tourna vers la porte. Straff entra quelques instants plus tard, sans qu’aucun signe trahisse s’il avait ou non entendu Vin. Un groupe de serviteurs entra peu après, transportant une grande table à manger.

Vin inspira brusquement. Les serviteurs étaient des skaa – des skaa impériaux, selon la vieille tradition. Ils étaient en haillons, vêtus de blouses déchirées, et affichaient des ecchymoses indiquant qu’on les avait récemment battus. Ils portaient leur fardeau avec les yeux baissés.

— Pourquoi cette réaction, fillette ? demanda Straff. Ah oui, c’est vrai. Vous êtes skaa, n’est-ce pas – malgré votre jolie robe ? Elend est très gentil ; moi, jamais je ne vous laisserais rien porter de tel.

Ni grand-chose d’autre de toute façon, laissait sous-entendre son intonation.

Vin lança un regard à Straff mais se rapprocha légèrement d’Elend et lui saisit le bras. Là encore, les paroles de Straff ne relevaient que de la pose ; Straff était cruel, mais seulement dans la mesure où il pouvait en tirer profit. Il voulait la mettre mal à l’aise.

Ce qu’il semblait faire efficacement. Elend fronça les sourcils, baissa les yeux et entrevit l’ombre d’un sourire narquois sur les lèvres de Vin.

Brise m’a dit que Vin pratiquait l’allomancie avec davantage de subtilité que la plupart des Apaiseurs, se rappela-t-il. Père est doué, mais s’il parvient à déceler son influence…

C’est qu’elle l’a laissé faire, bien sûr.

Elend regarda de nouveau Straff, qui frappa l’un des serviteurs skaa tandis qu’ils sortaient.

— J’espère qu’aucun d’entre eux n’est de votre famille, lança Straff à Vin. Ils n’ont pas fait preuve de beaucoup de zèle ces derniers temps. Je vais peut-être devoir en exécuter quelques-uns.

— Je ne suis plus skaa, répondit calmement Vin. Je suis noble.

Straff se contenta d’éclater de rire. Il avait déjà cessé de considérer Vin comme une menace. Il savait qu’elle était une Fille-des-brumes, il avait dû entendre dire qu’elle était dangereuse, et pourtant il la jugeait à présent faible et insignifiante.

C’est vrai qu’elle est douée pour ça, songea Elend, émerveillé. Les serviteurs commencèrent à apporter un festin impressionnant compte tenu des circonstances. Tandis qu’ils patientaient, Straff se tourna vers un de ses aides de camp.

— Faites venir Hoselle, ordonna-t-il. Et dites-lui de se hâter.

Il paraît moins réservé que dans mon souvenir, songea Elend. Du temps du Seigneur Maître, un bon aristocrate devait se montrer guindé et inhibé en public, bien que beaucoup retrouvent en privé une complaisante extravagance. Par exemple, lors des bals, ils dansaient et bavardaient discrètement à la table du dîner, mais s’enivraient et profitaient des services de prostituées au cœur de la nuit.

— Pourquoi cette barbe, père ? demanda Elend. Aux dernières nouvelles, ce n’est pas la mode.

— Désormais, mon garçon, répondit Straff, c’est moi qui dicte les modes. Asseyez-vous.

Vin attendit avec respect, observa Elend, que Straff soit installé avant de prendre place. Elle parvint à conserver une apparence de semi-nervosité : elle regardait Straff droit dans les yeux, mais sursautait toujours par réflexe, comme si une partie d’elle voulait détourner le regard.

— Maintenant, reprit Straff, exposez-moi les raisons de votre présence.

— Je croyais que c’était évident, père, répondit Elend. Je suis ici pour parler de notre alliance.

Straff haussa un sourcil.

— Quelle alliance ? Nous venons de convenir que ta vie m’appartient. Je ne vois pas la nécessité de m’allier avec toi.

— Possible, répondit Elend. Mais d’autres facteurs sont en jeu. Je suppose que tu n’avais pas prévu l’arrivée de Cett ?

— Il ne m’inquiète pas beaucoup, rétorqua Straff en reportant son attention sur son repas : de grandes pièces de bœuf à peine cuit.

Vin plissa le nez, sans qu’Elend parvienne à déterminer si elle jouait ou non la comédie.

Elend découpa sa viande.

— Un homme possédant une armée presque aussi grande que la vôtre devrait tout de même vous inquiéter un peu, père.

Straff haussa les épaules.

— Il ne représentera aucun danger pour moi une fois que je posséderai les murs de la ville. Tu me les céderas dans le cadre de notre alliance, je présume ?

— En invitant Cett à attaquer la ville ? dit Elend. Oui, vous et moi, ensemble, nous pouvons résister contre lui, mais pourquoi nous contenter de nous défendre ? Pourquoi le laisser affaiblir nos fortifications et courir le risque que le siège se maintienne simplement jusqu’à ce que nos deux armées meurent de faim ? Nous devons l’attaquer, père.

Straff ricana.

— Tu crois que j’ai besoin de ton aide pour ça ?

— Oui, si vous voulez le battre avec une seule chance de réussir, répondit Elend. Ensemble, nous pouvons facilement le vaincre – mais seuls, jamais. Nous avons besoin l’un de l’autre. Attaquons de concert, vous à la tête de votre armée, moi de la mienne.

— Pourquoi cette impatience ? demanda Straff, plissant les yeux.

— Parce que j’ai quelque chose à prouver, répondit Elend. Écoutez, nous savons tous deux que vous allez me prendre Luthadel. Mais si nous attaquons Cett ensemble, nous donnerons l’impression que je voulais m’allier avec vous depuis le début. Je pourrai vous céder la ville sans passer pour un idiot intégral. Je pourrai faire croire que j’ai appelé mon père à venir nous aider contre l’armée dont je savais l’arrivée imminente. Je vous remets la ville, puis je redeviens votre héritier. Nous obtenons tous deux ce que nous voulons. Mais seulement une fois que Cett sera mort.

Straff hésita, pourtant Elend voyait que ses paroles produisaient un effet. Oui, se dit-il. Croyez donc que je suis le même garçon que vous avez quitté – excentrique, prompt à vous résister pour des raisons stupides. Et sauver la face, c’est une attitude typique des Venture.

— Non, répondit Straff.

Elend sursauta.

— Non, répéta Straff en reprenant son repas. Ce n’est pas comme ça que nous allons nous y prendre, mon garçon. C’est moi qui vais décider quand – voire même si – j’attaque Cett.

Ça aurait dû fonctionner ! songea Elend. Il étudia Straff, s’efforçant de déterminer ce qui avait mal tourné. Il percevait chez son père une légère hésitation.

Il me faut davantage d’informations, se dit-il. Il jeta un coup d’œil latéral vers l’emplacement où était assise Vin, qui faisait tournoyer quelque chose dans sa main. Sa fourchette. Elle croisa son regard, puis la tapota doucement.

Du métal, songea Elend. Bonne idée. Il reporta son regard sur Straff.

— Vous êtes venu pour l’atium, dit-il. Vous n’êtes pas obligé de conquérir ma ville pour l’obtenir.

Straff se pencha en avant.

— Pourquoi ne l’as-tu pas utilisé ?

— Rien n’attire les requins aussi vite que le sang frais, père, répondit Elend. Si je dépensais de grandes quantités d’atium, je ne ferais qu’indiquer sans le moindre doute possible que je le possède – mauvaise idée, compte tenu du mal que nous nous sommes donné pour étouffer ces rumeurs.

Il y eut un soudain mouvement à l’avant de la tente, et une jeune fille dans tous ses états entra aussitôt. Elle portait une robe de bal – rouge – et ses cheveux noirs étaient rassemblés en une longue queue qui lui flottait dans le dos. Elle devait avoir dans les quinze ans.

— Hoselle, l’accueillit Straff en désignant la chaise voisine de la sienne.

La jeune fille hocha docilement la tête et se précipita pour aller s’asseoir près de Straff. Elle était maquillée et sa robe était décolletée. Elend n’avait pas le moindre doute quant à sa relation avec Straff.

Ce dernier sourit tout en mâchant son repas, calme et distingué. La jeune fille ressemblait un peu à Vin – même visage en amande, mêmes cheveux sombres, mêmes traits fins et frêle carrure. C’était une déclaration. Je peux m’en trouver une exactement comme la tienne – mais en plus jeune et plus jolie. Encore une pose.

Et ce moment – cet éclat narquois dans le regard de Straff – rappela à Elend, plus que jamais, pourquoi il haïssait son père.

— Peut-être que nous pouvons effectivement conclure un accord, mon garçon, déclara Straff. Livre-moi l’atium et je négocierai avec Cett.

— Il nous faudra du temps pour vous l’apporter, répondit Elend.

— Pourquoi ? demanda Straff. L’atium ne pèse rien.

— Il y en a beaucoup.

— Pas assez pour t’empêcher de le charger sur une charrette et me l’envoyer.

— C’est plus compliqué que ça.

— Je ne crois pas, dit Straff en souriant. Simplement, tu ne veux pas me le donner.

Elend fronça les sourcils.

— Nous n’en avons pas, murmura Vin.

Straff se tourna vers elle.

— Nous ne l’avons jamais trouvé, répondit-elle. Kelsier a vaincu le Seigneur Maître pour pouvoir se procurer cet atium. Mais nous n’avons jamais découvert le métal. Il ne s’est sans doute jamais trouvé en ville.

Ça, je ne m’y attendais pas…, songea Elend. Bien entendu, Vin agissait généralement selon son instinct, tout comme Kelsier avant elle, à ce qu’on racontait. Tous les projets du monde pouvaient tomber à l’eau avec Vin dans les parages – mais ses initiatives se révélaient généralement bien meilleures.

Straff réfléchit un moment. Il paraissait la croire.

— Donc, vous n’avez réellement rien du tout à m’offrir.

Je dois jouer les faibles, se rappela Elend. Il faut qu’il croie pouvoir prendre la ville à sa guise, mais aussi qu’il croie n’avoir aucun intérêt à la prendre immédiatement. Il se mit à tapoter allégrement la table de son index droit, s’efforçant de paraître nerveux. Si Straff croit que nous ne possédons pas cet atium… alors il risque nettement moins d’attaquer la ville. Il aurait moins à y gagner. C’est pour ça que Vin lui a fait cette réponse.

— Vin ne sait pas de quoi elle parle, dit Elend. Même à elle, j’ai caché cet atium. Je suis sûr que nous pouvons trouver un accord, père.

— Non, répondit Straff, l’air amusé à présent. C’est vrai que tu ne l’as pas. Zane m’a dit… Mais enfin bref, je ne l’ai pas cru…

Straff secoua la tête et reprit son repas. La jeune fille assise à ses côtés ne mangeait pas ; elle gardait le silence, comme le bibelot décoratif qu’elle était censée incarner. Straff but une longue gorgée de vin, puis poussa un soupir satisfait. Il regarda sa jeune maîtresse.

— Laisse-nous, ordonna-t-il.

Elle lui obéit aussitôt.

— Vous aussi, dit-il à Vin.

Elle se raidit légèrement, puis regarda Elend.

— Tout va bien, répondit-il lentement.

Elle hésita, puis hocha la tête. Straff lui-même ne représentait pas un grand danger pour Elend, et elle était une Fille-des-brumes. Si quelque chose tournait mal, elle pouvait rejoindre Elend rapidement. Et si elle partait, elle jouait leur jeu en faisant paraître Elend moins puissant. En meilleure position pour négocier avec Straff.

Du moins l’espérait-elle.

— J’attendrai dehors, dit-elle doucement avant de se retirer.

Le puits de l'ascension
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